Des fragments la cohérence
La photographie, pourrait-on penser, permet de documenter le réel tout en l’interprétant et en en conférant du sens. Mais le sens provient-il du réel (en réalité impossible à saisir), du regard du photographe (lui-même composé de multiples couches de personnalité) ou de la caméra (pourvu d’un objectif impartial, mais qui ne saurait que reproduire des instantanés sortis de leur cohérence temporelle et locale)?
Les œuvres de Camilo Agudelo démontrent la décomposition du regard, qui tend à être parcellaire dans la photographie contemporaine : elles font voir des réflexions visuelles empreintes d’une pincée d’angoisse face à un quotidien multiple, polysémique et aux interprétations incertaines. Par ses collages visuelles, intitulées «Les Frontières invisibles», l’artiste cherche à reconfigurer les fragments du réel après l’avoir saisi par un prisme brisé, reproduisant ainsi l’inquiétude qui habite les interstices de leur espace et le mouvement qui a parcouru le temps de leur fixation.
Il en résulte des images secouées, visuellement et chronologiquement éclatées qui invitent le regard à se balader à travers les lieux et les moments qui ont cadré leur saisie – fixation qui s’avère d’autant plus impossible que les endroits photographiés ont vécu des modifications importantes, mais parfois peu visibles, durant la période de confinement.
Si le travail de Camilo Agudelo fait preuve d’une réflexion visuelle introspective et personnelle de l’artiste qui en est l’auteur, il invite à la confronter avec celle que notre regard accordera aux mêmes fragments, en en faisant d’autres lectures.