La décadanse

Restrospective Cédine Tucher

La peintre qui faisait chanter les murs adore encore la vie.

Cédine Tüscher À 92 ans, l'artiste qui a habillé des façades genevoises dans les années 80 publie d'étonnants Mémoires.


Il a fallu ce livre inclassable, «Les murs mur­mures»*, pour que ressurgisse la figure de Cédine Tüscher, muraliste à Genève dans les années 1980. Celle qui, pour son très cher promoteur esthète a su faire chanter de formes et de couleurs façades et halls d'immeubles, ressuscite sur le papier cette période de création. Un tourbillon de photos, de textes, de plans et de docwnents, tel un album personnel foutraque et délectable. La visite s'imposait, à Château-d'Œx où la discrète artiste vit retirée depuis 2011.

Visage émacié et fin sourire, elle a gardé la posture droite et l 'œil brillant de la jeune femme qui toise le lecteur dans son livre, regard à la fois déterminé et interrogateur. Cédine reste Cédine, celle qui agit et qui doute, à la fois sûre de sa valeur et vulnérable tentée par les abîmes et décidée à vivre; elle le raconte avec une franchi e attachante. Son amie Mady Gindrat, ancienne responsable au Centre social protestant de Genève, confirme: «Une pure, w1e authentique. Elle a refusé les con1promis balayé les convenances, renoncé à beaucoup de choses pour ne sui­vre que aligne.Ça lui a coûté cher, mais elle est ainsi.»

La cadette des Tüscher aime la peinture, la danse, le piano et le chant. La révélation de la scène lui vient à 18 ans, suivante de Marguerite dans le «Faust» de Gou­nod. Elle déteste l'école. «Je réussissais bien et je cassais tout parce que je croyais que je n'étais pas bonne.» Elle fréquente Le Faux-Nez de Charte Apo­théJoz en tournée dans les villages avec la pièce éponyme de Sartre. «Flâne» pendant huit ans. Arts et métiers, beaux-arts (un diplôme de péda­gogie, tout de même), séjours à Paris. Décora­trice au Printemps pow· payer e cours de dans contemporaine. Elle travaille la dan e à Aix-en­-Provence, rentre en Suisse enseigner art et his­toire de l'art dans les internats chics. Mais surtout elle peint. Côtoie Denise Voïta,Jean-Claude Hes­selbarth et les autres «mais sans faire vraiment partie du groupe. Parce que je n'étai pas facile à capter.»
Insaisissable Cédine

Elle échappe, virevolte, égrène en vrac les souve­nirs jusqu'à celui qui transfonne sa vie. En 1974, elle a exposé à Pari à Lausanne à Genève vécu à Formentera en peignant des batiks. Elle ren­contre Raymond Guggenheim, Suisse de Paris rentré à Genève pendant la guerre. «Un choc tellement magnifique que ce n'était pas possi­ble!» Passionné d'art, le promoteur immobilier accueille l'idée de Cédine d'animer le immeu­bles qu'il transforme à Versoix. C'est le travail de cette période intense qui revit dans les pages du livre. Seule femme sur les chantiers, l'artiste fluette doit s'i1nposer, et d'abord convaincre les jury officiels. Avec Raymond, elle interviendra sur dix-sept immeubles ,jusqu'en 1992. Elle ne le reverra guère ensuite mais son livre rend hom­mage à cet homme qui «savait donner dans l'architecture sa place à la beauté, à la peinture. À l'esthétique, besoin vital.» Rendre justice au tra­vail accompli avec cet être «courageux, géné­reux, un battant débordant de joie de vivre». Et aux ouvriers, éternels oubliés.

L'inspiration Bauhaus de ses fresques, encore visibles aujourd'hui, intéressera un homme qui l'avait appréciée en tant qu'enseignante en arts plastique aux Atelier de Saint-Gervais .Jacque Boesch, patron des affaire culturel! de hôpi­taux genevois, confiera à Cédine la façade et le hall du pavillon de !'Hôpital de psychiatrie de Belle-Idée, pour ses cent ans en 2000. «Une ar­tiste passionnée, pas facile à con1prendre, hyper­sensible et vite déstabilisée», mai pleine de force et de talent. Projet réussi: Ça a très, très bien fonctionné auprès des patients et du personnel.»

Retour à Château-d'Œx, août 2018. Dans son appartement tapissé de tableaux, Cédine égrène les projets. Les peinture à compléter, les volu­me II t III de la série «Cédine murmure »: elle feuillette la maquette des «Peintures et dessins de 1950 à 2001». Elle attend le graphiste anglo-ge­nevois Simon Heptonstall pour les dernières ad­jonctions, collées dans les pages comme les paperolles de Proust. «Cédine est étonnante. Plein d humour et d'énergie curieuse et courageuse. Imaginez: elle est partie avant ses 20 ans dans le Paris de Juliette Gréco par pur désir d'aller voir ailleurs!» Sensible à son intérêt pour la photo numérique, il lui a créé un site (www.be.net et prit plaisir à la «voir, ciseaux en main, composer son livre d'artiste. Se dessin , e paroles, ses images ... tellement de matière, si riche.» Sans oublier «ses tonnes de corrections. Elle regarde tous les détails et n'arrête jamais avant d'être 100% satisfaite.»

Cédine s'inquiète. Il reste tant à faire. Bien qu'elle ne puisse plus marcher dans ses monta­gnes, le temps file, d'autant qu'elle en consacre chaque jour à la lecture. Notamment de son «semainier», la liturgie du bouddhisme Nichiren - en italien. Dissipés les brouillards des dépres­sions d'antan, elle espère renaître. «j'aimerai bien ça,je suis passionnée de la vie.»
17:00 – 21:00
Gratuit
Signaler une erreur Ajouté par michel le 8 février 2024